Alexia CASSAR, fondatrice de The Tétons Tattoo Shop

8 février 2019

Elle est l’une des seules a pratiquer cette technique en France, Alexia Cassar est une artiste tatoueuse, sa spécialité : tatouer des tétons aussi vrais que nature à des femmes qui ont subi une mastectomie. Une méthode révolutionnaire pourtant encore méconnue. Rencontre avec une femme inspirante, talentueuse et dévouée. 

1. Pouvez-vous nous en dire plus sur vous et votre parcours ?

Je m’appelle Alexia Cassar, j’ai 42 ans. Biologiste de formation, j’ai travaillé pendant 15 ans au développement de nouvelles molécules contre le cancer. Quand ma plus jeune fille âgée de 10 mois a été touchée par une leucémie, le besoin de me sentir plus utile dans la lutte contre les dommages du cancer est né. J’avais la sensation de travailler de manière anonyme et de ne pas sentir la différence qu’on peut apporter de manière personnalisée aux personnes atteintes de cancer.

La découverte du travail du tatoueur de Baltimore Vinnie Myers, spécialisé dans le tatouage après mastectomie de tétons réalistes en 3D a été une révélation. Le cancer du sein est bien souvent considéré comme un cancer « commun » duquel on guérit la plupart du temps ; or il a des conséquences parfois lourdes sur le plan social, conjugal et émotionnel qui vont au-delà du « tout rose » que l’on voit parfois. J’ai alors abandonné ma carrière scientifique, et démarré pendant près de 2 ans l’apprentissage long et patient de ce nouveau métier avec des bases artistiques déjà très présentes, une passion pour le tatouage et un parcours scientifique dans le milieu du cancer qui ont permis de mettre en place ce projet qui a trouvé le soutien du milieu médical et du monde du tatouage pour le bien des personnes touchées par le cancer. Avec ce métier, j’ai une relation directe et unique avec chaque personne que je reçois, et c’est important dans le processus de reconstruction physique et émotionnelle.

2. Depuis combien de temps êtes-vous tattoo artist? 

Je tatoue depuis plus de 3 ans et suis devenue une « tatoueuse de tétons » depuis un peu plus de deux ans maintenant. Je ne fais plus que ce type de tatouage après cancer par choix et conviction.

Mon premier salon, The Tétons Tattoo Shop, a ouvert en région parisienne en Septembre 2017, et le second ouvrira à Nice en Mars, j’y serai une partie de l’année, me partageant entre les deux.

3. Quel type de formation avez-vous suivie afin de faire ce genre de tatouage, est-ce différent d’un tatouage « classique » que l’on voit plus souvent ? 

Le tatouage 3D de reconstruction est une technique de tatouage artistique et non médicale, qui vise à utiliser les techniques et matériel de tatouage traditionnel pour recréer, grâce au trompe-l’œil, des aréoles et mamelons réalistes, dont la texture, le relief et la couleur sont au plus proche du sein restant (naturels et adaptés à la morphologie s’il n’y plus de sein). Il est important de comprendre qu’elle met en oeuvre des compétences et des connaissances très particulières qui ne peuvent pas s’improviser, avec une population fragile et fragilisée par les traitements reçus. Cette technique, si et seulement si elle est réalisée par un professionnel formé et expérimenté, est parfaitement adaptée à la peau endommagée des personnes ayant eu un cancer du sein, et permet un résultat définitif, personnalisé et réaliste qui permet réellement de tourner la page et de retrouver estime de soi.

Pour la pratiquer, j’ai réalisé un apprentissage du métier de tatoueur auprès d’un maître tatoueur pendant presque deux ans, puis me suis formée au tatouage médical et aux techniques de chirurgie de reconstruction auprès de chirurgiens plasticiens. J’ai ensuite été aux Etats-Unis pour être formée au tatouage 3D de reconstruction du mamelon et de l’aréole puisque cette technique très spécifique n’est pas enseignée ailleurs. J’ai passé les deux dernières années à développer ma propre technique, plus adaptée aux techniques de reconstruction européennes, et plus en phase avec mon univers artistique et personnel. Je suis repartie aux Etats-Unis cette année pour me former au tatouage décoratif après mastectomie avec le meilleur tatoueur au monde dans cette spécialité, reconnu internationalement, David Allen. C’est donc un parcours de plus de 4 ans pour arriver à cette spécialisation, avec un background scientifique déjà présent et un investissement personnel et financier énorme.

4. Qu’est ce qui vous a poussée à devenir tattoo artist et à développer précisément cette technique ? 

 Mon parcours personnel et professionnel m’a amenée à ce métier de manière évidente, j’ai pu conjuguer des compétences scientifiques, artistiques, empathiques et éthiques déjà présentes pour affronter la nécessite de me former pendant plus de 4 ans en tout et arriver à réaliser ce projet, jusqu’alors anecdotique en France. J’ai voulu donner du sens aux épreuves que la vie m’avait envoyées pour aider les autres à dépasser leurs propres souffrances et à revenir vers la vie après la maladie.

5. Ce type de tatouages n’est pas vraiment démocratisé en France, peu de gens connaissent ou pratique cette technique, comment est-ce possible d’après vous ?

Cette méconnaissance a plusieurs causes, la première étant que seules 20 à 30% des 20 000 femmes ayant eu une mastectomie choisissent de se faire reconstruire chaque année. L’accès à ces techniques de reconstruction est très variable d’une région à l’autre ! Cela reste encore tabou. Ma présence sur les réseaux sociaux, quand ils ne me censurent pas de manière systématique, a permis de faire connaître davantage cette option.

Elle reste quand même très exigeante en termes de connaissances et de responsabilités donc est peu pratiquée par les tatoueurs traditionnels qui lui préfèrent l’artistique. Il faut rappeler que seule la dermopigmentation réparatrice, technique médicale utilisant des pigments semi-permanents de la même famille que le maquillage permanent, est enseignée en France et sur quelques jours seulement. Le tatouage, lui, s’apprend auprès d’un maître pendant plusieurs années, et cette technique n’est pas transmise en Europe.

Aujourd’hui, cette médiatisation est à double tranchant, car de nombreuses personnes, plus ou moins bien intentionnées, se lancent dans cette pratique en pensant qu’il s’agit tout simplement de dessiner des cercles sur la poitrine et de les colorer dans un décor un peu girly… Or les dommages occasionnés par un geste inadapté sont réels et très difficiles à corriger. Je commence à recevoir des femmes qui ont été tatouées par des personnes non correctement formées et c’est difficile de leur expliquer que seule la chirurgie pourra corriger un tatouage définitif mal exécuté car je ne pourrai pas le récupérer… Aucune loi n’encadre cette pratique essentielle aujourd’hui et rien n’empêche qui que ce soit de se déclarer spécialiste de cette technique sans l’avoir pratiquée ! Je recommande chaque jour à toute personne qui souhaiterait se faire tatouer de demander quelle formation la personne a reçue et de voir des résultats de son travail après cicatrisation pour en juger.

 

6. Quel rapport entretenez-vous avec vos clientes, ces femmes qui ont vaincu et surmonté de telles épreuves ? 

Le retour à l’estime de soi à travers une certaine image de la féminité est essentiel après ce genre d’épreuve. Au-delà d’une simple « cerise sur le gâteau », c’est un véritable point final à la maladie que viennent chercher les personnes qui poussent la porte de The Tétons Tattoo Shop. Elles viennent chercher une écoute, une empathie, un accueil unique, non médical et hors du monde du tatouage professionnel ou de l’esthétique. Mon parcours scientifique et mon expérience personnelle du cancer les rassurent aussi, tout comme l’aval de leurs chirurgiens qui leur recommandent souvent de venir finaliser leur travail de reconstruction auprès de moi. C’est un cercle vertueux de partage de compétences et d’accompagnement, tout le monde y trouve satisfaction, car la finalité est le réalisme et l’esthétique du geste, dans le respect du travail du chirurgien et de l’histoire de la personne, pour une réappropriation du sein reconstruit qui permet son acceptation et de passer à autre chose…

Je reçois des témoignages très touchants tous les jours, elles me font part de ce que leur tatouage a permis de changer dans leurs vies… Elles parlent de « renaissance » et de nouvelle page qui se tourne, et sont heureuses de me donner des nouvelles de temps en temps… Je suis fière de les avoir rendues à la vie et les voir épanouies me satisfait au plus haut point. Nos vies sont liées pour toujours, et les voir retomber amoureuses, retrouver du travail, changer de coiffure et de look, après seulement c’est merveilleux !

7. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre rapport au corps et à la féminité (est-ce que votre métier y a contribué) ?

 J’ai toujours eu un rapport très difficile avec ma propre image et ce qu’elle pouvait faire penser de moi. Le tatouage m’a permis d’accepter mon corps et de l’apprécier sous un angle plus artistique et à accepter ses imperfections. Etre mère m’a aussi permis d’accepter une féminité que j’ai longtemps rejetée par souhait d’être conforme à une société où dès l’enfance j’avais senti que les garçons étaient plus valorisés que les filles. Et le travail que je fais chaque jour avec mes clientes me donne encore plus de recul vis-à-vis du regard des autres. Etre heureux et aspirer à l’être et à rendre les autres heureux est une forme de prise de distance vis-à-vis de la futilité de l’apparence. C’est ce que j’essaie de leur transmettre en les mettant devant le miroir avec ce nouveau corps avec lequel je leur demande de faire la paix !

8. Avez-vous une anecdote à nous partager sur votre travail, votre parcours, ou votre vie personnelle ?

 Chaque jour est riche d’anecdotes, parce que je croise des destins de femmes et d’hommes extraordinaires, le soir je me remémore tout ça en mettant en forme les photos de mon travail de la journée, puis je me dis que je devrais écrire un livre de toutes ces histoires inspirantes… et puis la vie me reprend dans ses filets et cela reste un rêve !

9. Quels sont vos futurs projets ? 

 J’aimerais vraiment pouvoir publier les travaux de recherche que je conduis avec les centres anti-cancer sur cette technique et son intérêt pour les ex-malades du cancer et aboutir à la reconnaissance et l’encadrement de ce nouveau métier pour pouvoir le faire grandir et obtenir aussi une prise en charge de ce geste au titre de la reconstruction après cancer. Une mutuelle a déjà fait le choix de le prendre en charge partiellement et j’en suis très fière ! il faut continuer à avancer et à se battre pour faire cesser les pratiques non sérieuses et défendre le droit des ex-malades à se reconstruire définitivement et de manière personnalisée.

 10. Pour finir, quelle est votre devise ?

 C’est un hashtag auquel je tiens #tatouerdestétonsestunmétier mais ça devient presque un combat pour le droit à la dignité et au respect pour le retour de l’estime de soi !

Contact 

@_alx_C_

The Tétons Tattoo Shop : 28 Allée des Acacias, 95670 Marly-la-ville