Drague ou harcèlement de rue : comment définir la frontière ?

11 avril 2018

© Instagram @dearcatcallers 

Six mois après l’éclatement de l’affaire Weinstein, le thème du harcèlement sexuel alimente les débats. A l’heure de la création d’une amende pour outrage sexiste, la frontière entre drague et agression reste difficile à définir. Reportage à Paris à la rencontre de jeunes femmes victimes de harcèlement de rue. 

 

C’est dans le paisible VIeme arrondissement de la capitale que se concentre cette enquête, dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés. Constance, Luna et Mathilde se détendent autour d’un café en terrasse à la sortie des cours. Ces trois amies de vingt ans suivent une licence d’histoire de l’art à quelques encablures de là, à l’Institut catholique de Paris. Constance est blonde et élancée, Luna brune et plus pulpeuse, Mathilde, châtain et petite ; elles ne partagent rien en apparence si ce n’est leur âge et leur style vestimentaire soigné. Pourtant, lorsque nous les abordons pour engager la conversation, elles sont unanimes : oui, le sujet les concerne, oui, elle ont toutes été victimes de harcèlement de rue.  Selon un sondage Odoxa pour France Info et Le Figaro publié le 19 octobre 2017, 63% des femmes citadines de moins de 35 ans sont confrontées quotidiennement à des comportements déplacés. Cela représente cinq points de plus que la moyenne nationale. Néanmoins, la frontière entre drague et harcèlement n’est pas consensuelle au sein du groupe de jeunes femmes. Pour Constance, toute intervention d’un tiers dans la rue est constitutive de harcèlement: « quand je marche d’un point A à un point B, je n’ai aucune envie qu’un inconnu me parle » affirme-t-elle. Mathilde, elle, apprécie qu’on l’aborde, « quand c’est gentil. » Elle précise: « Pour moi, il ne faut pas tout prendre pour une agression; quand un garçon me dit que je suis jolie ou me propose poliment d’aller boire un verre, je me sens plus flattée qu’importunée. » 

 

« Prise au piège »

Si les avis divergent quant à la qualification de l’abord, le trio d’étudiantes se rejoint dès lors qu’il est question de comportement insistant, insultant ou de rapprochement physique : « Quand je dis « non » et que le mec ne lâche pas l’affaire, quand il s’approche trop près de moi ou essaye de me toucher, je me sens prise au piège. Ce n’est pas de la drague, c’est de l’abus », résume Luna. Les jeunes filles s’estiment victimes de ces types de comportements en moyenne une fois par mois. Un constat qui n’étonne pas Marion Seclin, vidéaste et « championne de France de cyberharcèlement ». Celle-ci a décroché ce titre après la publication d’une vidéo sur Youtube en mai 2016 dans laquelle elle dénonce le harcèlement de rue, publication qui lui a attiré les foudres de plus de 40 000 internautes. Elle, défend que la rue n’est pas un endroit pour draguer : « Même lorsque la drague de rue n’est pas méchante, elle est tellement systématique qu’elle en devient pesante pour les femmes qui sont les plus visées par ces comportements. Je pense qu’il y a un problème sexiste derrière ces attitudes. »

Concernant le projet de loi portant sur création d’une amende de délit d’outrage sexiste présenté en Conseil des ministres le mercredi 21 mars dernier, Marion est sceptique : « Quand bien même la définition du harcèlement de rue serait établie selon des critères satisfaisants, il faudrait un policier tous les cinquante mètres pour constater l’infraction, ce qui est impossible. Et puis, je ne pense pas que quiconque prendrait le risque d’être verbalisé en présence des forces de l’ordre. » Elle estime cependant que l’irruption du sujet dans le débat public est une avancée : « En parler, c’est déjà reconnaître que ça existe, reconnaître que non, se faire harceler dans la rue, ce n’est pas normal. »