Madjda (à gauche) et Sina (à droite), deux cuisinières employées par Mam’Ayoka. Lorsque nous leur montrons la photo, Madjda lance : « On est belles hein … surtout moi ! ». Eclats de rire généraux.
Le restaurant de la petite place Pierre Mac Orlan est calme en cette fraîche journée. Quatre personnes déjeunent et un homme, installé devant la grande baie vitrée, lit un roman en sirotant son café. Quand sonnent les 13 heures, les chaises cannées et les tables en palettes multicolores trouvent progressivement preneur. La musique disco s’efface au profit du tintement des verres Duralex et d’un amoncellement de voix.
Depuis deux ans, le restaurant fait des émules dans le quartier. La petite association fondée en 2015 est devenue un lieu de partage plébiscité du XVIIIe arrondissement.
A l’origine du projet, il y a Sophie Lawson. Cette ancienne cadre d’Orange impliquée dans l’économie sociale et solidaire a décidé de faire de ce secteur son cheval de bataille.
La spécificité de Mam’Ayoka repose d’abord sur ses employées. Celles pour qui les clients affluent, celles que l’on peut distinguer en arrière plan ; les cuisinières. La porte menant à la cuisine est ouverte. Elle laisse entrevoir une femme vêtue d’un tablier fuchsia et d’un bonnet en laine pourpre. Ses gestes sont soigneux, méticuleux, son visage, paisible. C’est Diariatou. Elle est malienne, et comme ses 5 autres collègues derrière les fourneaux, elle est travailleuse migrante.
L’objectif de Mam’Ayoka est l’insertion professionnelle des femmes migrantes exclues du marché du travail. Elles ne travaillaient pas, étaient femmes de ménage ou occupaient des postes précaires avant d’obtenir un CDI de cuisinière ici. Aucune de ces femmes n’avait suivi de formation dans le milieu de la restauration avant d’intégrer l’équipe. Redirigées par des associations locales vers Mam’Ayoka, elles sont sélectionnées sur leurs recettes par Sophie Lawson et son associée Pauline Caroni. C’est toute l’essence du projet: « Notre but, c’est de mettre à profit les talents culinaires de chacune, de leur offrir la possibilité de le faire sans exigence de diplôme » insiste Pauline.
La plupart des employées du restaurant sont installées en France depuis longtemps et ont vocation à rester sur le territoire. Néanmoins, vivre en France et être intégré à la société ne vont pas forcément de paire quand un élément culturel fondamental pèche ; la maitrise de la langue. Arriver en France sans parler français (ni même anglais), assurer toutes ses démarches quotidiennes, développer une vie sociale et, a fortiori, trouver un emploi relèvent du parcours du combattant. Ceux qui ne peuvent pas communiquer dans la langue vernaculaire sont dans la majorité des cas, de fait, exclus du monde du travail. Mam’Ayoka veut résoudre le problème en prenant le chemin inverse. Embaucher d’abord des femmes sur la base de leur capacité à produire des plats goûteux et ensuite, si nécessaire, leur faire suivre des cours de français.
Dans un deuxième temps, pour parfaire leurs connaissances techniques, l’entreprise inscrit ses employées à des formations spécifiquement liées au milieu de la restauration. Madjda vient de participer à une session portant sur l’hygiène et la sécurité.
Accoudée à son poste de travail à la propreté impeccable, elle presse des citrons verts et jaunes. Madjda Labidi a 47 ans. C’est l’une des premières à avoir intégré l’équipe en cuisine, il y a deux ans. Elle a 3 enfants et un mari, son « quatrième enfant » comme elle aime l’appeler. C’est pour le rejoindre qu’elle a quitté l’Algérie il y a vingt ans, « le 1er février 1998 à 16h30 ». Journaliste opposé au régime, il obtient l’asile politique en France et Madjda bénéficie quelques mois plus tard du dispositif de regroupement familial. Avant, elle était femme au foyer et à 45 ans et sans diplôme, ses chances d’entrer sur le marché du travail étaient bien maigres. Pour elle, c’est « le destin qui [l’] a envoyée ici ». Un sentiment que partage Alek, le seul homme de l’équipe. Dans sa vie antérieure, le couteau suisse de l’établissement était correspondant de guerre. Il nous montre sa dernière carte de presse datant de 2011. Les « choses de la vie » ont mis un terme à sa carrière. Aujourd’hui il a tourné la page et a pu bénéficier d’un emploi aidé. Il a rencontré Sophie par le bouche à oreille et c’est par ce même moyen que les fidèles ont connu le restaurant.
La clientèle de Mam’Ayoka est variée. Le midi, la plupart des habitués sont des groupes de collègues travaillant dans une entreprise à proximité. Le soir, ce sont davantage des gens du quartier qui fréquentent le lieu. Cette volonté d’être accessible aux locaux est une autre composante capitale du projet. Le nord du XVIIIeme arrondissement, à la frontière de la Seine-Saint-Denis, est une zone populaire. En son sein se côtoient des dizaines de cultures et parmi les riverains beaucoup sont immigrés. Leur problématique rejoint celle des femmes employées par le restaurant, qui résident elles-mêmes à proximité. Ils ne parlent pas toujours français, disposent souvent de revenus modestes, n’ont parfois pas de papiers et sont pour une partie mal intégrés dans la société. Sophie et Pauline voudraient que la clientèle locale s’élargisse. Mam’Ayoka propose à cette fin des tarifs abordables (comptez 5 à 6 euros par plat) et s’associe à des collectifs du secteur pour démocratiser l’accès à la culture.
La vocation universelle de Mam’Ayoka se retrouve dans son nom. Sophie voulait donner à son restaurant un prénom féminin à consonance multiculturelle. Au terme d’un vote organisé avec la trentaine de contributeurs au projet, trois se qualifient en finale et une quatrième proposition – « Les Mams », en référence à la cuisine des Mamans – émerge. Au second tour, « Ayoka » remporte la partie mais se pose un inopportun problème de référencement. En tapant ce prénom dans la barre de recherche, on tombe sur des photos de jeunes femmes en lingerie fine. Décision est prise de combiner « Les Mams » et « Ayoka »: Mam’Ayoka est né.
Le projet est participatif. La plupart des contributeurs n’étaient que des connaissances de la fondatrice. Selon elle, « ça a marché parce que les valeurs véhiculées sont fédératrices. » Les clients rejoignent cette idée, à l’image de Kai Masson, dont l’employeur vient de déménager à côté du restaurant: « La solidarité c’est fondamental et, en tant que femme, l’initiative me touche. » C’était sa première fois. Elle reviendra pour la plus simple des raisons: « Parce que c’est bon ! »
2 Place Pierre Mac Orlan, 75018 Paris
M°12 Porte de La Chapelle
Lundi – vendredi : 9h – 19h